« You don't know me, don't ignore me, you don't want me there you just shut me out »
Quelle est la première chose à laquelle vous pensez lorsqu'on évoque votre enfance ?
Kira, elle, pense à beaucoup de choses. Sa chambre de princesse, sa garde-robe pleine à craquer, ses cours de piano, d'équitation, sans parler de ces innombrables voyages aux quatre coins de la planète... Le rêve, n'est-ce pas ? Elle se souvient aussi très bien de l'immense pression sociale qui reposait déjà sur ses épaules. De ses parents, qui malgré tous les efforts qu'elle fournissait, ne semblaient jamais satisfaits d'elle. Du sentiment de solitude que sa déscolarisation avait fait naître dans son coeur. Et du formatage intellectuel dont elle avait eu tant de mal à se défaire...
Sa mère était une militaire américaine, et son père... Aujourd'hui encore, elle ne saurait trop dire en quoi consistait son travail. Il a toujours été un homme très froid et distant, il ne parlait presque jamais de lui... Enfin, il ne parlait presque jamais tout court, d'ailleurs. Il passait la majorité de son temps dans ses bureaux; et sa mère étant très souvent en déplacements ou en poste à l'étranger, on ne pouvait pas dire que l'ambiance familiale était au beau fixe. Kira reste persuadée que sa naissance était une erreur, que ses parents se sont mariés uniquement car l'avortement n'était pas socialement acceptable à leurs yeux et qu'il fallait bien faire avec. Ils n'ont jamais eu l'air d'être proche, et n'avaient rien en commun... Mis à part un goût prononcé pour la discipline et quelques valeurs traditionnelles qui menèrent la vie dure à la petite pendant de longues années.
Absolument toute son existence était calculée pour faire d'elle la petite fille parfaite. Sa mère l'emmenait toujours à l'étranger avec elle lors de ses missions pour l'ouvrir au monde et parfaire sa culture. Mais à cause de ces nombreux déplacements et de son père quasi-inexistant, la majorité de sa scolarité fut réalisée à domicile, à l'aide de professeurs particuliers ou de cours par correspondance. Très jeune, elle était déjà parfaitement bilingue et son vocabulaire était trois fois plus étendu que celui des autres enfants de son âge. Sa chambre était immense, ses vêtements raffinés et féminins... Mais tout ceci n'était que de la poudre aux yeux. Une prison dorée afin d'exposer sans honte à la société la petite poupée dont ils avaient la charge. Malgré ses bonnes notes et son attitude irréprochable, elle ne reçut jamais de félicitations. Jamais de câlins, ni aucune démonstration d'affection sous quelque forme que ce soit. Elle était juste là pour satisfaire ses parents. Montrer au monde entier à quel point cette enfant (qu'ils ne désiraient pas) était douée, mais ne faisait vraisemblablement pas de son mieux. En revanche, le moindre faux pas lui était fatal et les sanctions bien souvent démesurées par rapport à la situation.
Tout cela, elle ne s'en était jamais vraiment rendu compte, pas jusqu'à récemment. C'était son quotidien, tout cela était parfaitement normal. Le monde réel, elle ne le découvrit que bien plus tard, lorsque les missions de sa mère prirent fin et qu'elle put enfin être scolarisé dans un établissement. Bien qu'à première vue, cela aurait pu ressembler à une bonne nouvelle, l'intégration fut particulièrement difficile pour la petite fille. Les enfants sont toujours cruels entre eux, et particulièrement à cet âge. Elle était la petite "intellote" qui avait sauté des classes et léchait les bottes des professeurs, elle était celle que l'on menaçait d'humilier si elle refusait de donner les réponses aux devoirs, elle n'était "pas comme les autres" parce que sa mère était blonde... Évidemment, elle n'osa jamais parler de ces intimidations à ses parents. Elle avait trop peur qu'ils ne la disputent pour s'être montré si faible, et ne pas savoir régler ses problèmes toute seule. Alors elle encaissa les coups, les moqueries, les insultes, tout en continuant à travailler d'arrache-pied pour que papa-maman puissent ouvrir le bulletin de notes sans la priver de sortie jusqu'à sa majorité.
Ce fut un véritable enfer.
Et lorsqu'elle changea d'établissement pour entrer au lycée, elle se promit à elle-même que les choses ne se passeraient pas de la même manière. Ses parents lui présentèrent la fille d'une connaissance influente, qui fréquentait le même lycée qu'elle et s'avérait faire partie du comité des élèves. Elle avait quelques années de plus qu'elle, elle était belle, féminine, probablement l'une des filles les plus populaires de l'établissement et aussi l'une des plus intelligentes. Peu importe l'heure ou l'endroit, elle était toujours tirée par quatre épingles, soignée jusqu'au bout des ongles; son attitude était irréprochable. Ses parents exigèrent d'elle qu'elle devienne amie avec "La Princesse", ce qui ne l'enchantait pas vraiment. Mais grâce à ses bonnes notes, son visage d'ange, et l'influence de "Madame Parfaite", elle fut elle aussi considérée comme l'une des filles les plus distinguées de l'école, et malheureusement, profita de son image à des fins peu conventionnelles. De victime, elle était devenue bourreau, pensant que détruire la vie des autres avant qu'ils ne détruisent la sienne était la meilleure solution au "problème" qu'elle avait pu rencontrer par le passé. Devant ses parents, les professeurs et ses "amis", c'était une enfant modèle. Mais à la sortie des cours, nombreux étaient ceux qui craignaient de croiser son chemin. Elle n'est vraiment pas fière de cette période-là de sa vie, sa lâcheté trahissait sa faiblesse.
« Hey ! Hey ! You ! You ! I don't like your girlfriend. »
Et puis un jour, alors qu'elle venait de s'installer en classe comme à son habitude, la nouvelle parvint jusqu'à elle : "Princesse" sortait avec le bad boy de l'école. Un garçon turbulent, connu pour l'excentricité des teintes de sa chevelure et son refus total de l'autorité; sans parler de ses tenues négligées qui se voulaient "cool" et "rebelle". Honnêtement, Kira n'avait absolument rien contre lui, mais c'était l'occasion de donner un grand coup à la réputation de "Mademoiselle Parfaite" dont l'entourage n'auraient probablement jamais approuvé la relation. Elle n'eut pas à réfléchir longtemps à la façon dont elle allait s'y prendre, ses autres "amis" commençaient déjà à lui suggérer qu'elle avait peut-être fait une erreur, qu'avec cette attitude désinvolte et ce look peu conventionnel il ne pouvait s'agir d'une bonne personne, et qu'elle méritait beaucoup mieux. La Nippo-Américaine approuva les dires, et n'hésita pas à rajouter son grain de sel afin de pousser la Princesse dans ses derniers retranchements. Finalement, le couple se sépara juste avant la fin du lycée.
Ce n'est que bien des années plus tard que Kira commença à changer. Pourquoi avait-elle été si méchante avec cette fille qui ne lui avait rien fait ? Sans doutes qu'elle voyait en elle ce qu'elle ne supportait pas dans sa propre existence. Princesse ne se forçait pas à être parfaite, elle l'était naturellement. Princesse réussissait sans avoir à faire d'efforts. Princesse donnait l'impression de n'avoir jamais eu de problèmes dans sa vie. Et Princesse pouvait se faire aimer de qui elle voulait. Voilà pourquoi elle avait ressenti ce besoin de détruire ce qu'elle avait entreprit, ce bonheur auquel elle avait prétendu. Elle n'arrivait pas à accepter que d'autres puissent être heureux et épanouis dans ce contexte social qu'elle haïssait tant.
Après le lycée, elle choisit de se lancer dans des études de journalisme sur Tokyo et s'arrangea avec ses parents afin d'obtenir un logement universitaire. Ce fut le début d'une nouvelle histoire pour elle, un nouveau départ afin de devenir peu à peu, la personne qu'elle était aujourd'hui. Ses parents étaient loin, elle n'avait plus besoin de faire semblant. Le fait de se retrouver dans une grande école, entourée de personnes toutes aussi différentes les unes que les autres, mais aussi de personnes avec un comportement (plus ou moins) adulte l'aida à se sentir mieux dans sa peau, et à accepter qui elle était vraiment.
« I've been a bad girl, don't you know ? »
Elle traînait bien souvent avec des amis plus âgées qu'elle, appréciant leur maturité et leur ouverture d'esprit. Ses fréquentations n'étaient pas toujours très recommandables, mais elle su rester sur le droit chemin. Du moins, en partie. Elle put enfin écouter d'autres musiques que celles de Beethoven ou de Wagner, et se découvrit une passion toute particulière pour les nombreuses déclinaisons que le style rock pouvait offrir. Son attitude et son style vestimentaire évoluèrent progressivement. Un jour, elle décida de se faire percer les oreilles et le nez... Et rencontra quelques complications suite à une réaction allergique. Après avoir changer ses bijoux pour de l'or, elle demanda à passer des tests et apprit qu'elle était effectivement sujette à plusieurs allergies, notamment à certaines molécules que l'on retrouve parfois dans les encres à tatouages. Elle fut très déçue de ne pas pouvoir passer sous l'aiguille. Le tatouage était un art qui avait su piquer sa curiosité, elle avait lu énormément d'ouvrages et s'était documentée. Un certain nombre de ses amis étaient tout aussi fascinés par le sujet, à tel point que lorsque l'un d'entre eux quitta l'école pour ouvrir son propre salon, ils furent plusieurs à le suivre dans l'aventure. Kira, elle, n'abandonna pas. Le journalisme était une voie très vaste, et si elle était diplômée, elle pourrait intégrer un journal traitant des thèmes qui l'intéressaient. Pourquoi pas un magazine de tatouages ? Ou bien une revue de musique ?
Elle quitta cependant son petit boulot de serveuse afin de devenir agent d'accueil à temps partiel dans le salon de ses amis. Ils savaient qu'elle était sérieuse et ses connaissances sur le sujet étaient plus pointues qu'il n'y paraissait, elle serait parfaitement en mesure d'accueillir et conseiller les clients tout en gérant le calendrier et l'activité des réseaux sociaux. Puis, quand leur pierceur décida de partir à l'étranger après son mariage, elle fut formée et entraînée afin d'assurer la relève. Évidemment, ses parents n'avaient aucune idée de tout cela. Ils habitaient loin de la capitale et heureusement pour elle, elle ne les voyait que très peu. Plus elle pouvait les tenir éloigner de sa nouvelle vie, et mieux elle se portait...
Cela ne signifiait pas pour autant qu'elle pouvait se permettre de couper les ponts avec eux. Elle avait des objectifs, et l'argent qu'ils lui fournissaient était un tremplin indispensable afin de les atteindre. Elle était presque sûre que s'ils venaient à découvrir la vérité, ils n'hésiteraient pas une seule seconde à lui couper les vivres et la déshériter. Ils la rejetteraient sans ménagements. Ce qui ne manqua pas de lui causer d'autres problèmes, notamment dans sa vie intime...
Sa relation la plus sérieuse s'étala sur près d'une année et demi... Et ce fut avec une femme. Elle était belle, elle était sincère, et elle était sérieuse. Peut-être même un peu trop sérieuse. Elle avait du mal à accepter le refus catégorique de Kira de s'afficher sur les réseaux sociaux. Pourtant, dans la "vraie" vie, elle n'avait aucun mal à assumer sa bisexualité, ni cette femme qu'elle avait choisit. Et elles se séparèrent le jour où Kira affirma que jamais, elle ne la présenterait à ses parents. Car elle savait pertinemment qu'ils ne l'accepteraient jamais, mais aussi que cette dernière n'aurait jamais la force de supporter toutes les immondices qu'ils risquaient de lui adresser. Tout au fond d'elle, la petite journaliste savait que cette relation ne pourrait jamais durer, mais elle avait voulu y croire. Elle avait voulu essayer. Tout aussi sincère qu’elle avait pu se montrer, cela n’avait pas été suffisant.
« He's just a boi, and I'm just a girl... »
Malgré une rupture quelque peu difficile, elle mena ses études de front et se plongea dans le travail pour ne pas perdre de vue ses objectifs. Alors qu'elle avait repris du poil de la bête, sa petite vie d'étudiante prit un tournant auquel elle ne s'était pas vraiment préparé. Lors d'un road-trip au supermarché du coin qui s'était transformé en esclandre public, elle avait injustement accusé un homme de harcèlement et l'avait affiché devant tout le monde. Après avoir réalisé son erreur, elle eut heureusement l'occasion de racheter sa conduite... Mais...
Prenez une poignée de concours de circonstances ; ajoutez-y quelques quiproquos ainsi qu'une pincée d'alchimie confuse pour atténuer l'amertume. Relevez le tout avec une bonne dose d'alcool et une partie de jambes en l'air improvisée pour accentuer l'ambiguïté, et vous obtenez le mélange parfait pour un début d'histoire assez peu conventionnel. Elle n'aurait su expliquer avec des mots les sentiments équivoques qui envahissaient sa poitrine lorsqu'il s'agissait de lui : De la bienveillance, de la douceur, mais aussi un désir brûlant et passionnel, sans oublier une assez grande part de frustration qu'elle peinait à réprimer tout au fond d'elle. Elle avait du mal à le cerner, et le respectait trop pour essayer de le contrôler ou le manipuler.
Apprendre qu'il n'était autre que l'ancien bad-boy de son lycée, celui qu'elle avait plus ou moins volontairement mené à la rupture par égoïsme, avait été assez déstabilisant pour la jeune femme. Mais tout dans le comportement de l'artiste – car ce dernier était chanteur – se révélait tellement déroutant et imprévisible que ce petit détail fut bien vite relayé au second plan. Tôru était quelqu'un d'impulsif, de spontané, souvent taciturne et relativement distant. Mais il pouvait aussi se montrer très tendre, attentionné, comprenait parfois les choses sans qu'elles ne lui soit expliquées et donnait le meilleur de lui-même dans tout ce qu'il entreprenait. Si elle avait été capable de voir tout cela en si peu de temps, elle ne pouvait qu'imaginer l'immensité des choses qu'il devait encore avoir à offrir. Malheureusement, il ne lui en laissa pas le temps.
« Why do you have to go and make things so complicated?
I see the way you're acting like you're somebody else
Gets me frustrated »
Pour sa dernière année d'études, Kira était
esclave stagiaire dans un petit journal de quartier. Certains hommes ne se sentant exister qu'à travers l'exercice abusif de leur semblant d'autorité, elle eut l'immense privilège de se retrouver soumise aux directives d'un supérieur tyrannique. Ce dernier publia un article calomnieux et le signa de son nom à elle ce qui, outre le fait de lui avoir attiré un sacré nombre de problèmes, marqua le début de sa descente aux enfers. Son stage était tombé à l'eau, faisant également couler tout espoir pour la demoiselle de pouvoir obtenir son diplôme. Elle qui avait tant lutté pour tenir son ex éloignée de ses parents, accepta pourtant que Tôru viennent à leur rencontre après avoir proposé lui-même de l'accompagner pour la soutenir. La soirée fut catastrophique, sans grandes surprises. Elle n'a plus adressé la parole à ses parents depuis lors. Ils lui coupèrent les vivres ; ce qui lui laissait un délai d'un mois pour quitter l'appartement dans lequel elle vivait, ses maigres revenus ne lui permettant plus de couvrir son loyer. Les échecs se succédèrent les uns après les autres, et comme si cela ne suffisait pas, ses relations avec Tôru se dégradèrent considérablement.
Alors qu’elle essayait de rebondir, elle n’avait pu que regarder, impuissante, cet homme qui lui avait déjà tant donné s’éloigner petit à petit. Elle avait pris sur elle au début, tant bien que mal, ayant conscience qu’un artiste de sa trempe n’aurait pas toujours du temps à lui consacrer. Mais son attitude, elle aussi, avait commencé à changer. Il était glacial. Ses mots étaient bien plus agressifs, et elle était incapable d'en déterminer la raison. Après quelques tentatives de dialogues pour le moins infructueuses et des disputes de plus en plus violentes, un terme fut mis à leur relation avant même qu’ils n’aient eu le temps de pouvoir la construire.
Si cela n’avait duré que quelques mois, l’impact de cette séparation sur la jeune fille fut pour le moins dévastateur. Elle ne comprenait pas comment une histoire aussi brève avait pu l’affecter de la sorte... Ce terrible sentiment de mal-être et de solitude qui la dévorait lentement… Ce poids sur la poitrine qui lui donnait l’impression de suffoquer à chaque inspiration, semblait se nourrir de ses pensées les plus noires pour lacérer son coeur et tenailler ses entrailles. L'isolement involontaire dont elle était victime la rongeait de l’intérieur et jusqu’au plus profond de son âme. Elle avait tout perdu. Elle était seule.
« She wants to go home, but nobody's home. That's where she lies, broken inside. »
C'est dans ce contexte qu'elle décida de s'envoler pour les États-Unis. Il fallait qu'elle prenne un nouveau départ, hors de question pour elle de se laisser ainsi sombrer dans la souffrance. Plus qu'un besoin, c'était une véritable nécessité. Le peu d'argent qu'il lui restait fut utilisé pour payer son billet d'avion ; mais de toute façon, elle n'avait plus rien à perdre. Elle retrouva ce pierceur qui l'avait formé quand elle travaillait encore à Shibuya et se fit rapidement embauché dans son salon. Ambitieuse et motivée – pour ne pas dire têtue, elle parvint peu de temps après à se faire embaucher par le célèbre « Inked Magazine » et décrocha un poste de web-journaliste auquel elle consacra toute son énergie. Elle se donna corps et âme à ses ambitions professionnelles, jouant sur deux tableaux comme elle l’avait toujours fait entre le journal et le salon, menant sa carrière de main de maître. Elle fut également amenée à voyager à plusieurs reprises afin d'étudier les différences dans la ligne éditoriale en fonction des pays.
Oui, professionnellement parlant, tout semblait lui sourire. Elle aimait ce qu'elle faisait, mais tout au fond, elle se voilait la face : Son implication exacerbée était le meilleur moyen d'éviter ses problèmes, et de ne pas affronter sa réalité. Elle n'avait pas le temps de réfléchir ni de penser. Et parce qu'elle ne s'était autorisé aucune manifestation de faiblesse, son mal-être finit par s'exprimer autrement. Elle s'appliquait si vigoureusement à se tenir occupé que petit à petit, elle commença à sauter quelques repas. Puis d'autres. Rien de grave après tout, elle n'avait juste pas le temps de s'atteler à la cuisine et préférait de loin se consacrer à quelque chose de plus productif. Cette mauvaise habitude s'installa progressivement dans son quotidien, sans qu'elle n'y prête réellement attention. Elle ne trouvait plus plaisir à manger les quelques fois où elle s'autorisait des temps de repas. Puis, la nourriture commença à la dégoûter. Les odeurs lui donnaient des nausées. Tout ce qu'elle avalait finissait bien souvent par être rejeté par son propre corps. La sonnette d'alarme fut tirée après un malaise lors d'une de ses séance de boxe.
Transportée à l'hôpital puis examinée, les résultats furent sans appel : Il s'agissait clairement d'anorexie. Outre son sous-poids, la journaliste souffrait de carences alimentaires conséquentes, et elle était à deux doigts d'un cas de dénutrition sévère. Elle fut cependant très bien accompagnée et prise en charge ; des cachets censés stimuler son appétit lui furent prescrits, et elle fut encouragée à continuer le sport pour renforcer sa masse musculaire. Admettre les véritables raisons de son état de santé fut un processus très long et éprouvant psychologiquement. Pour les médecins, il n'y avait cependant aucun doute : Elle souffrait déjà de troubles anxieux depuis plusieurs années, ceux-ci couplés à un certain nombre d'événements négatifs qu'elle avait du surmonter dernièrement, sa santé mentale en avait pris un coup. Hors de question pour elle de parler de dépression, sa situation n'était pas si terrible et il y avait tellement de gens, là, dehors, dont la situation était bien plus à plaindre que ses petits problèmes personnels. Mais les faits étaient bien là : La solitude et la douleur avaient fait d'elle une coquille vide. Elle existait sans vivre, respirait parce qu'elle n'avait pas d'autre choix. Alors peu à peu, elle essaya de se reprendre en main.
Elle recommença à sortir de temps en temps, reprit la moto, adopta un chien, puis deux, puis un chat. La présence des animaux l'aida considérablement à se sentir moins seule ; courir avec ses chiens lui faisait un bien fou. Et dans un contexte comme celui d'aujourd'hui où la criminalité faisait partie intégrante du quotidien, avoir deux molosses en guise de garde du corps était un luxe qu'elle appréciait à sa juste valeur. Son niveau en boxe était plus que satisfaisant aujourd'hui, mais pour elle qui avait toujours tendance à se retrouver dans de sales draps et choisir les mauvaises fréquentations, mieux valait se montrer prudents.
Cela faisait quelques mois à présent qu'elle était revenue sur Tokyo. Dans le monde du tatouage, le savoir-faire et les techniques employées dans le style japonais avait largement fait leurs preuves et de ce fait, le pays du soleil levant constituait une source d'inspiration inépuisable pour la rédaction d'articles de ce genre. Grâce à sa maîtrise parfaite des deux langues, on lui proposa un poste de chef de rubrique au Japon qu'elle accepta sans trop réfléchir après avoir vu sa nouvelle fiche de paie. Après une longue hésitation, elle décida tout de même de retourner s'installer à Shibuya. Elle gardait malgré tout des bons souvenirs de ce quartier, et c'était plus ou moins une façon pour elle de prendre sa revanche sur la vie. De se prouver à elle-même qu'elle était capable de faire ce qui lui plaisait, et qu'elle n'avait besoin de personne pour cela. Elle retourna s'inscrire dans la salle de boxe du coin, et en quelques semaines seulement, s'affirma comme l'un des membres les plus compétents du club. Elle du également s'engager à se rendre régulièrement à l'hôpital pour contrôler l'évolution de son état de santé. Si elle avait repris quelques kilos, elle demeurait toujours très maigre et refusait encore quelques fois de s'alimenter. Lentement, elle reprenait le contrôle de sa vie.